Le sport, c’est s’approprier son corps
Quand j’étais enfant, je me rappelle avoir fait de la gymnastique, puis de la danse moderne. Je n’ai plus vraiment de souvenirs concrets, mais j’en garde des ressentis, des sentiments de joie et d’épanouissement. Le satisfaction de réussir une figure qui bloquait, de sentir le contrôle qu’on a sur chaque mouvement, de partager son énergie avec les autres membres du club.
Et puis, assez naturellement, j’ai arrêté. Je ne sais plus trop comment. Je crois que la professeure était enceinte, et que je n’ai pas cherché de nouveau club. Ça n'a pas vraiment d’importance — j’ai arrêté, et j’ai commencé à faire de la musique et du théâtre.
J’ai perdu de ma force et de ma souplesse, mais le sport ne me manquait pas particulièrement. Je m’épanouissais dans mes nouvelles activités. Arrivé au collège, ça a commencé à changer, car mon corps a commencé à changer. J’ai pris des formes et du poids, et je ne me reconnaissais plus. Et dans le cadre des cours d’EPS, le sport a commencé à devenir un enfer.
J’étais conscient de chaque centimètre de ma peau, du sentiment d’étrangeté que ça me procurait. Je pensais que mon dégoût venait de ma faiblesse physique, car j’avais perdu cette aisance de me mouvoir que j’avais pu développer enfant. En réalité, ma perte d’aisance en sport créait surtout de la frustration- le dégoût que je ressentais, lui, était purement ancré à l’image de femme que je développais et que tout me renvoyait.
Et le sport, c’est s’approprier son corps. Et moi, je n’avais pas envie de me l’approprier. Pendant les séances, j’étais tiraillé entre le regain d'énergie que le sport me procurait, avec ce sentiment de me reconnecter à moi-même, et celui d’être défectueux, “lacking”. Cette connexion à mon corps me mettait face à l’incohérence entre l’image de la personne que je renvoyais et celle que j’étais.
Les bienfaits du sport s'effaçaient devant la souffrance de cette dissonance, et tout l’épanouissement qu’il avait un jour pu m’apporter me semblait appartenir à une autre vie.
Aujourd’hui, je suis sous hormones. Je reprends doucement le sport. C’est encore trop compliqué de le faire en public, l’idée même d’entrer dans un club me terrifie, alors j’en fais doucement chez moi, à la salle quand j’en ai le courage. Je ne suis pas très courageux.
C’est léger, rien d’incroyable, une courte routine pour ne pas me dégoûter, pour apprendre à nouveau à apprécier mon corps et ce qu’il peut faire. Je me fixe des petits objectifs, des choses réalistes pour ne pas me décourager. Ce qui ne m’empêche pas de prendre des pauses, parfois un peu trop longues à mon goût- c’est bien plus facile de perdre une bonne habitude que de la mettre en place…
Mais j’y reviens toujours, je finis par reprendre.
Et je me rends compte que ce sentiment d’accomplissement et cette satisfaction que j’avais pu ressentir enfant sont là, encore atténués, mais de nouveau présents dans mon quotidien. Ça me fait du bien, d’apprécier à nouveau le sport. J’ai l’impression d’avoir franchi une étape.
Alors je continue mon petit bout de chemin. C’est difficile, il y a des hauts et des bas, mais je pense que ça va aller.
Dissonant, 23 ans